par Alain J. Macaire.
L'art est-il essentiel au bonheur ?. S'agit-il du bonheur de l'artiste ou de celui qui reçoit l'œuvre ? S'agit-il de se limiter à changer le modèle pour avoir des consommateurs d'art plutôt que des consommateurs de culture ? Où se situe le curseur entre ce qui est art et ce qui n'est seulement que culture ? L'art est l'exception, mais ne devrait-il pas être la règle ?
Comprendre ou recevoir une œuvre d'art requiert hélas trop souvent une initiation (en plus d'une capacité d'écoute et d'une ouverture d'esprit). Contrairement à la beauté naturelle qui nous apparait comme évidente, l'art est une création de l'homme trop souvent compliquée en apparence, qu'il est difficile de recevoir sans avoir soi-même reçu ou entrepris une certaine éducation artistique. Il devrait être alors fondamental que cette éducation soit proposée à tous très tôt dans le processus éducatif.
Dans cette transmission, le rôle des artistes est primordial. En effet, la place d'un artiste n'est pas seulement dans les expositions, les musées, les festivals, les concerts, etc, elle l'est également dans les écoles et les lieux de formation, car il me semble que seule une âme d'artiste est capable de véhiculer et de transmettre cette sensibilité, cet idéal de beauté et de poésie.
Refuser la facilité intellectuelle rend-il forcément heureux ? Si on prend le cas des artistes, je ne suis pas persuadé qu'ils soient profondément heureux, et s'ils le sont, c'est probablement essentiellement pendant les actes créatifs, les instants où ils se donnent pleinement sans calcul ni retenue, et où c'est leur sensibilité qui s'exprime et non pas leur intellect. Car le bonheur est plutôt un sentiment de plénitude, de « laisser-aller », où l'on ne se pose plus de questions. Le bonheur est donc forcément éphémère. D'autre part, il me semble que ce sentiment est antagoniste avec quelques refus que ce soit, comme par exemple le refus de la facilité intellectuelle qui demande une confrontation et une remise en question permanente de ses idées, de ses points de vue, de ses façons de faire ou de penser avec soi-même et avec son entourage et son environnement, remise en cause qui n'est pas vécue sans violences. Maitriser son art, dépasser ses limites, demande abnégation et refus des plaisirs « faciles », nécessite l'isolement, et provoque des souffrances physiques et psychiques (on peut se référer par exemple aux témoignages du pianiste Franz Liszt vers la fin de ses jours).
La liberté est-elle génératrice du bien-être ?. Il n'est pas certain que ce soit la liberté en soi qui soit génératrice du bien-être. Elle peut même quelques fois générer du mal-être, des souffrances. Par exemple, retirer son emploi (sa servitude) à un salarié d'une entreprise ne le rend pas pour autant heureux (dans la réalité c'est même le contraire qui se passe!). Autre exemple : il n'est pas certain qu'une personne qui recouvre la liberté physique en sortant de prison soit de facto heureuse. Il me semble qur sur cette question, c'est plutôt l'autonomie qui est primordiale, capacité qui permet aux individus de choisir et éventuellement d'accéder au bien-être s'ils le souhaitent et s'ils le décident. Libre de ne pas être libre ! Telle est la conclusion des musiciens de jazz après leur expérience (leur impasse?) du free jazz des années 1970.
Cette autonomie n'est pas naturellement acquise, et ne peut se construire que dans l'éducation. Nous nous apercevons qu'ici aussi le point clé se situe au niveau du processus éducatif, dès l'enfance. Mais aujourd'hui notre société ne semble pas forcément souhaiter que les individus deviennent pleinement conscients et autonomes, et préfère les « endormir », les asservir et les « formater » dès leur plus jeune âge (fuite en avant technologique valorisant la forme au détriment du fond, précarisation des conditions d'existence et de travail, discours manipulateur des médias traditionnels, etc).
Alors l'art peut-il rendre libre ? N'est-ce pas plutôt la démarche artistique, quête de toute une existence, qui permet de s'affranchir de toute cette matérialité superflue dont nous nous entourons, matérialité dont pourtant nous sommes constitués et dont, dans une certaine mesure, nous avons absolument besoin ? Ne devrions-nous pas devenir tous artistes ? Repenser la société pour qu'elle puisse garantir à tous les conditions matérielles minimales, et favoriser ainsi le développement et l'épanouissement d'êtres individuellement autonomes dans une perspective collective.
En référence à l'article "De la nécessité de l'art"
de Julien Herbin et Emmanuelle Martin.